Lorsque deux syndicats affiliés à la même confédération représentative au niveau national présentent des listes de candidats dans deux collèges différents, ils ne sont pas considérés comme concurrents et distincts. Ils peuvent donc faire valoir, ensemble, qu’ils répondent aux conditions permettant de désigner un délégué syndical supplémentaire dans l’entreprise (Cass. Soc, 9 mai 2019, n° 18-60129).
L’article L. 2143-4 du Code du travail permet, dans les entreprises d’au moins 500 salariés, à un syndicat représentatif dans l’entreprise de désigner un délégué syndical supplémentaire lorsqu’il a obtenu un ou plusieurs élus dans le collège des ouvriers employés lors de l’élection du CSE (ou pour les faits de notre arrêt, du CE) et s’il compte au moins un élu dans l’un des deux autres collèges. Pour la première fois, la Cour de cassation répond à la question de savoir si deux organisations syndicales affiliées à la même confédération nationale, qui ont présenté deux listes distinctes dans deux collèges différents, peuvent se prévaloir du principe d’unicité de tendance, et donc additionner leurs votes, pour répondre aux conditions de l’article L. 2143-4.
Retour sur les règles d’application du principe d’unicité de tendance syndicale
Dans cette affaire, deux syndicats, CGT-Transpole (syndicat représentatif dans l’entreprise) et UGICT-CGT, tous deux affiliés à la CGT (confédération nationale), ont présenté au sein de l’entreprise Kéolis chacun leur propre liste dans deux collèges différents lors des élections professionnelles. Ils ont tous les deux obtenu, chacun dans leur collège respectif, des élus.
Dans ce cadre, CGT-Transpole a désigné 4 délégués syndicaux, dont l’un au titre des dispositions légales autorisant la désignation d’un délégué syndical supplémentaire lorsque le syndicat a obtenu des élus dans plusieurs collèges.
Un syndicat concurrent (Sud Transports Nord Pas-de-Calais) a demandé l’annulation de ces désignations. Il considère que les deux organisations syndicales en question (Transpole et UGICT) sont distinctes, notamment en ce qu’elles ont par exemple des panneaux d’affichage distincts, des locaux syndicaux distincts, qu’elles ont chacune concouru pour leur représentativité syndicale propre. De ce fait, elles ne devraient pas pouvoir se prévaloir du « principe de l’unicité de tendance » pour la désignation d’un délégué syndical supplémentaire.
Pour répondre à ce conflit, la Cour revient sur les règles actuelles de représentativité, et explique l’origine de ce « principe d’unicité de tendance ». En effet, la loi n°2008-789 du 20 août 2008 a abrogé la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficiaient les syndicats affiliés à une confédération nationale représentative, mais n’a pas pour autant mis fin au rôle de l’affiliation confédérale. Le législateur a mis en place un système de représentativité ascendant, qui consiste à additionner les votes obtenus au niveau des entreprises pour constituer la représentativité au niveau interentreprises et au niveau des branches. Ce faisant, il a alors intrinsèquement admis un principe de syndicalisme de tendance.
Si les syndicats présentent leur liste dans deux collèges différents, le principe d’unicité de tendance s’applique.
C’est dans cette logique « d’unicité de tendance », et donc d’unicité de représentation syndicale, que la Cour a rejeté les arguments du syndicat Sud transports en jugeant que « lorsque deux organisations syndicales affiliées à la même confédération présentent des listes de candidats dans deux collèges différents, elles ne sauraient être considérées comme des organisations syndicales concurrentes et distinctes ».
Il en résulte que deux syndicats affiliés à la même confédération nationale qui ont présenté deux listes distinctes dans des collèges différents peuvent faire valoir qu’ils remplissent, ensemble, les conditions exigées par l’article L. 2143-4 du Code du travail pour désigner un délégué syndical supplémentaire.
Une décision en conformité avec la jurisprudence antérieure
Pour justifier sa décision, la Cour de cassation rappelle l’historique jurisprudentiel en la matière.
Elle évoque tout d’abord sa décision du 12 avril 2012 (Cass. soc., 12 avr. 2012, n°11-22.290), par laquelle elle a considéré l’affiliation confédérale comme un élément essentiel du vote des électeurs. Ainsi, lorsque, au sein d’une entreprise, plusieurs syndicats sont affiliés à une même confédération, leur action a vocation à être commune, et les suffrages obtenus s’additionnent, sous réserve de ne pas exercer leurs prérogatives de manière concurrente.
Il en résulte, comme l’explique la Cour de cassation, que les syndicats affiliés à une même confédération :
– ne peuvent présenter qu’une liste par collège lors des élections professionnelles
– ne peuvent constituer une liste commune pour organiser entre elles des répartitions négociées de suffrage
– ne peuvent désigner, ensemble, plus de délégués syndicaux que le nombre prévu par la loi et les accords
De plus, si deux syndicats présentent chacun une liste dans le même collège, ils perdent le droit de cumuler leurs votes.
Or il y a, dans cet arrêt du 29 mai 2019, un élément de distinction important : les deux organisations syndicales avaient présenté leur liste dans deux collèges distincts. Elles n’étaient donc pas concurrentes entre elles. C’est d’ailleurs sur la base de ce critère que la Cour de cassation a rendu sa décision, qui s’inscrit donc pleinement dans sa jurisprudence antérieure.
Quel syndicat compétent pour désigner le délégué syndical supplémentaire ?
Une question reste cependant en suspens : si en l’espèce, la question ne se posait pas puisque seul le syndicat CGT-Transpole était représentatif, on peut se demander, dans l’hypothèse où les deux le seraient, comment déterminer celui qui désignera in fine le délégué syndical supplémentaire ?
La Cour de cassation a déjà répondu à cette question dans une jurisprudence bien établie, pour une situation similaire, mais non identique : la désignation du délégué syndical surnuméraire. Il s’agissait de deux organisations syndicales affiliées à une même confédération syndicale représentative au niveau national, qui avaient, chacune, désigné un délégué syndical au sein de la même entreprise (alors que seul un devait être désigné). La Cour de cassation a jugé qu’il revenait à l’organisation syndicale de rattachement (au niveau national) de décider, selon ses statuts, ou par une décision spécifique, lequel des deux syndicats devait être autorisé à désigner un délégué syndical. Elle ajoute à cela une solution subsidiaire, selon laquelle, à défaut de décision prise par la confédération nationale, c’est le critère chronologique qui s’applique. Ce serait donc la désignation notifiée en premier lieu qui serait validée (notamment, Cass. soc., 29 oct. 2010, n° 09-67.969).