Dans le cadre de la réforme de la représentativité syndicale issue de la loi du 20 août 2008, l’audience des organisations syndicales a été mesurée pour la deuxième fois début 2017, au niveau national et interprofessionnel ainsi qu’au niveau des branches professionnelles. À l’occasion de cette mesure qui intervient tous les 4 ans, plus de 5,6 millions de salariés se sont exprimés.
Les chiffres présentés sont le résultat de l’agrégation des scores enregistrés par les organisations syndicales sur le cycle 2013-2016 lors :
- des élections professionnelles (comité d’entreprise, délégation unique du personnel, ou à défaut, délégués du personnel) organisées dans les entreprises d’au moins 11 salariés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2016 ;
- du scrutin organisé auprès des salariés des très petites entreprises et des employés à domicile du 30 décembre 2016 au 13 janvier 2017 (et jusqu’au 20 janvier 2017 pour l’outre-mer) ;
- et des élections aux chambres départementales d’agriculture, pour les salariés de la production agricole, qui se sont déroulées en janvier 2013.
Au total, 5 243 128 suffrages valablement exprimés ont été recueillis en faveur des organisations syndicales de leur choix permettant de conforter ainsi la légitimité de ces dernières en tant qu’acteurs du dialogue social.
La mesure de l’audience constitue l’un des critères essentiels permettant d’établir la représentativité d’une organisation syndicale. Au niveau national et interprofessionnel, comme au niveau des branches professionnelles, une organisation syndicale doit recueillir au moins 8% des suffrages exprimés et satisfaire aux autres critères de représentativité (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté de deux ans, influence, effectifs d’adhérents et cotisations) pour être représentative et donc être en capacité de signer des accords collectifs.
Quelle est la situation dans les branches professionnelles ?
Au niveau national et interprofessionnel, 5 organisations atteignent ce score :
- CFDT : 26,37%
- CGT : 24,85%
- CGT-FO : 15,59%
- CFE-CGC : 10,67%
- CFTC : 9,49%
Sans entrer dans le détail de ces résultats par syndicat, intéressons-nous à l’impact global de ces résultats sur la vision qu’on peut avoir de la représentativité syndicale en France.
L’ambition de la réforme de la représentativité syndicale était d’améliorer la légitimité des syndicats. En effet, pour que le dialogue social soit riche, il faut que celle-ci soit solide et confortée. Cette réforme a mis fin à la présomption irréfragable de représentativité et fonde la légitimité des syndicats sur les suffrages des salariés. Désormais, les salariés ont la possibilité de déterminer qui a le pouvoir de négocier en leur nom les accords collectifs.
Dans le cadre de cette nouvelle mesure, plus de 68 000 procès-verbaux d’élections professionnelles ont été recueillis (soit une augmentation de plus de 18% par rapport à la mesure effectuée en 2013), permettant de comptabiliser environ 5,3 millions de suffrages valablement exprimés (soit plus de 200 000 suffrages supplémentaires par rapport à 2013), sur les 13 millions de salariés inscrits sur les listes électorales ; ce qui permet de renforcer encore la légitimité de la mesure d’audience.
En poids « relatif », qui prend en compte le seul périmètre des syndicats représentatifs, la CFDT a recueilli plus de 30% (30,32%) des voix, ce qui lui permet désormais de signer un accord seul. La CGT, elle, est à 28,57%. C’est ce poids relatif qui est valable lors des accords interprofessionnels, comme celui sur la formation en 2014 ou sur la sécurisation de l’emploi en 2013.
Depuis la loi du 18 décembre 2014, l’audience syndicale est aussi prise en compte pour la désignation des conseillers prud’homaux.
Sur 458 branches actuellement recensées, la CFDT est représentative dans 418 d’entre elles. La CGT reste représentative dans 410 branches. Et FO peut toujours négocier dans 349 branches. Chez les cadres, la CFE-CGC est représentative dans 302 branches, et la CFTC peut négocier dans plus de 200 branches.
Quel bilan peut-on tirer de ces résultats ?
À une époque où il est de bon ton dans les milieux politiques ou dans les médias d’insister sur la très faible représentativité des syndicats, ces résultats éclairent celle-ci sous un tout autre angle. En effet, si les adhésions à des syndicats restent faibles dans le secteur privé (mais elles sont très faibles aussi pour les différents partis politiques, et cette faiblesse ne fait pas autant débat dans la société), le soutien démocratique par le vote des salariés reste important. 42% de participation de la totalité des salariés aux élections professionnelles et un très faible taux de votes blancs et nuls sont des chiffres loin d’être négligeables. Cette participation permet d’avoir une représentativité légitime et est assez comparable à certaines élections de nos politiques pour lesquels le débat sur la légitimité ne se pose pourtant pas dans les mêmes proportions.
Cette période de 4 ans a pu confirmer tout l’intérêt des salariés pour leurs représentants, malgré un contexte souvent difficile, tant le bashing syndical est à la mode de nos jours.
Représentativité des organisations professionnelles patronales
À titre comparatif, que se passe-t-il au niveau des organisations patronales ?
Pour la première fois, dans le cadre de la réforme de la représentativité patronale issue de la loi du 5 mars 2014, l’audience des organisations professionnelles d’employeurs a été également mesurée au niveau national et interprofessionnel, ainsi qu’au niveau des branches professionnelles. Cette première mesure va déterminer les organisations professionnelles d’employeurs représentatives pour les quatre prochaines années.
Il n’y a bien sûr pas de vote pour des syndicats patronaux comme pour les syndicats des salariés, pour apprécier leur représentativité. Donc le critère d’audience déterminant la représentativité d’une organisation professionnelle d’employeurs est considéré comme rempli si une organisation professionnelle d’employeurs franchit le seuil de 8%, soit des entreprises adhérentes à toutes les organisations professionnelles d’employeurs candidates, soit des salariés employés par ces mêmes entreprises, au niveau considéré, national et interprofessionnel ou dans les branches professionnelles. Un syndicat d’employeurs est donc considéré comme représentatif s’il reçoit les adhésions, soit d’au moins 8% de toutes les entreprises ayant adhéré à un syndicat, soit d’un nombre d’entreprises représentant au moins 8% des salariés de celles-ci.
Dans le cadre de la mesure de l’audience des organisations professionnelles au niveau national et interprofessionnel ont été comptabilisées près de 420 000 adhésions d’entreprises qui emploient au total plus de 12 millions de salariés. Dans le détail, les chiffres de la DGT révèlent que les trois organisations patronales représentatives avaient jusqu’à présent largement surévalué leur nombre d’adhérents.
Sur environ 1,2 million d’entreprises ayant au moins un salarié (sur un total de 3,4 millions entreprises), le Medef compte ainsi 123 387 entreprises adhérentes, contre 144 939 pour la CPME et 150 605 pour l’Union des entreprises de proximité (U2P), cette dernière étant née récemment du rapprochement entre les artisans et les professions libérales – une opération destinée à peser plus lourd sur la scène patronale. Le taux d’adhésion à une organisation professionnelle des entreprises ayant au moins un salarié est donc d’environ 35%. Il est ainsi beaucoup moins élevé que les chiffres annoncés jusque-là. Jusqu’alors, le Medef revendiquait 750 000 entreprises adhérentes, la CPME entre 400 000 et 500 000. L’U2P assurait pour sa part que son champ de représentation couvrait 2,3 millions d’entreprises, soit deux entreprises françaises sur trois. En ce qui concerne le nombre de salariés, le Medef est nettement en tête, avec 8,52 millions de salariés, devant la CPME (3 millions) et l’U2P (507 000), selon les chiffres de la DGT.
Jamais auparavant l’audience patronale n’avait été mesurée selon des critères précis et les organisations professionnelles s’appuyaient sur le nombre total d’entreprises raccrochées à une convention collective, qu’elles soient syndiquées ou non, pour témoigner de leur importance.
Mais la loi du 5 mars 2014, modifiée par la loi Travail, a instauré un cadre juridique pour déterminer la représentativité de chaque syndicat d’employeurs, mesurée à partir du seul nombre d’entreprises versant une cotisation.
Le système était jusque-là auto-déclaratif, il repose maintenant sur un système complet de vérification au regard de deux critères. De cette mesure dépend la répartition des sièges dans les instances paritaires, comme l’Unedic ou l’Agirc-Arrco, mais aussi celle des subventions du fonds paritaire national.
Selon les nouvelles règles, pour les mandats dans le fonds paritaire national, le nombre d’entreprises adhérentes est pris en compte à hauteur de 30% et celui du nombre de salariés à 70% ; pour les crédits alloués, les deux critères sont pondérés à hauteur de 50%. La loi Travail a permis que la mesure de l’audience privilégie les effectifs salariés par rapport au nombre d’entreprises. Ce qui a clairement favorisé le MEDEF, en termes de sièges dans les instances paritaires, et en calcul de la subvention publique servant à leur financement.
Si la loi du 5 mars 2014 qui fondait la représentativité uniquement sur le nombre d’entreprises adhérentes n’avait pas été modifiée, l’U2P serait la première organisation patronale.
La mesure de l’audience patronale au cœur des enjeux de notre démocratie sociale
La mesure de l’audience patronale joue un rôle majeur dans la négociation des accords collectifs, puisque pour pouvoir être étendu, un accord collectif doit avoir été négocié par des organisations professionnelles d’employeurs représentatives. En outre, peuvent s’opposer à l’extension d’un accord collectif une ou plusieurs organisations professionnelles d’employeurs représentatives dont les entreprises adhérentes emploient plus de 50% de l’ensemble des salariés des entreprises adhérant aux organisations professionnelles d’employeurs reconnues représentatives au niveau considéré.
Elle conditionne le bénéfice des financements du fonds paritaire pour le dialogue social. Le financement par le fonds paritaire, qui est dédié au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, est en effet réservé aux organisations reconnues représentatives (article L. 2135-12 du Code du travail) et est proportionnel à l’audience de ces organisations.
De plus, la loi du 18 décembre 2014 a aussi modifié les modalités de désignation des conseillers prud’homaux représentant les employeurs. Désormais, les membres des conseils des prudhommes seront désignés par les organisations syndicales et patronales en fonction de leur audience respective.
Il est à noter que les médias se sont largement fait l’écho des résultats concernant la représentativité des syndicats de salariés, avec notamment la première place de la CFDT, qui était jusqu’à aujourd’hui occupée par la CGT. Il faut reconnaître que les résultats de la représentativité des organisations patronales, nettement plus faibles que ce qui avait toujours été proclamé par ces mêmes organisations, sont passés très inaperçus. Les mêmes médias ayant certainement jugé que c’était nettement moins intéressant pour les citoyens.