Assouplissement du temps de travail, flexibilité pour les entreprises, ordonnances… À quoi peut-on s’attendre dans le domaine du travail ?
Les réformes économiques et sociales que prévoit le nouveau Président de la République sont nombreuses. Il a notamment promis une refonte du régime d’assurance-chômage, la création d’un système de retraite unique et à points, la suppression du RSI, ou encore la baisse d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises. Les premières feront l’objet de lois spécifiques, et la dernière sera décidée dans le projet de loi de finances 2018, établi et voté à la fin de l’année.
Mais la réforme que M. Macron compte mettre en œuvre dès cet été est celle du Code du travail. Il a annoncé qu’elle se ferait par ordonnances, mais le contenu de celles-ci reste encore imprécis. On peut cependant s’attendre à certaines mesures annoncées pendant la campagne.
La primauté des accords d’entreprise
La loi El Khomri a déjà inversé la pyramide de la hiérarchie des normes et du principe de faveur, mais uniquement pour le temps de travail. Un accord d’entreprise peut donc, depuis son entrée en vigueur, être moins avantageux qu’un accord de branche ou que le Code du travail.
Mais cet accord doit toutefois recueillir les signatures des syndicats représentant plus de 50 % des suffrages des salariés (ou encore 30 % comme auparavant, selon les cas). M. Macron souhaite que cette inversion s’applique à tous les domaines, comme le salaire par exemple. Pour valider les accords d’entreprise, il compte également permettre aux employeurs de convoquer un référendum sur la base d’un accord minoritaire, comme le prévoit déjà la loi « Travail ».
Le chef de l’État a cependant promis des limites. Le Code du travail continuera à fixer une durée légale du temps de travail à trente-cinq heures par semaine (qui reste le seuil de déclenchement des heures supplémentaires), un salaire minimum au-dessous duquel il est impossible de descendre, un plancher de 10 % du taux de majoration des heures supplémentaires… Mais si les accords d’entreprise peuvent fixer une durée du travail supérieure à la durée légale, celle-ci ne sert donc plus qu’à fixer le point de départ des heures supplémentaires, payées uniquement 10 % de plus que le salaire. De même, le salaire minimum ne sera certainement pas le même que celui prévu par l’accord de branche, sinon où est la négociation ?
Toutes les entreprises qui n’auront pas signé d’accord interne se verront appliquer l’accord de branche, s’il existe.
Le plafonnement des indemnités prud’homales
M. Macron avait fustigé l’abandon de cette disposition dans la loi El Khomri. Il l’avait déjà inscrite dans sa loi d’août 2015, mais le Conseil Constitutionnel l’avait censurée. Le MEDEF réclame de longue date un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse » pour plus de « sécurité juridique, fiscale et politique » pour les entreprises, dénonçant des indemnités parfois très élevées et difficiles à prévoir dans le budget. Ce sont des termes très policés pour se plaindre d’une condamnation judiciaire. Il existe aujourd’hui un barème pour les encadrer, mais il n’est qu’indicatif.
Lors de sa campagne, M. Macron avait parlé de vouloir « sécuriser les entreprises dans les procédures prud’homales ». Il veut donner « aux entreprises une visibilité et une assurance qui permettront de lever les freins à l’embauche en CDI ». Donc un employeur embauchera plus facilement en CDI s’il sait qu’il sera moins condamné s’il le licencie ensuite sans motif valable. En termes moins pudiques et moins politiques, cela revient en fait à limiter autant que possible les sanctions que pourraient encourir des employeurs condamnés par la justice pour licenciement abusif. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Des employeurs sont condamnés en appel (car toutes les procédures prud’homales qui ne finissent pas par une transaction sont jugées en appel par des juges professionnels), pour ne pas avoir respecté la loi, et avoir licencié des salariés sans motif valable ou justifié. Le MEDEF n’a jamais supporté que la justice vienne sanctionner des employeurs, qui, selon eux, devraient pouvoir faire ce qu’ils veulent dans leur entreprise, même au détriment du respect de la loi. Pour éviter de payer ces indemnités réparatrices du préjudice subi par les salariés, il suffirait que les employeurs respectent la loi en ayant juste un vrai motif pour licencier quelqu’un. Mais le MEDEF et M. Macron préfèrent interférer avec la liberté de décision des juges qu’ils estiment irresponsables en condamnant ces employeurs à payer des indemnités de plusieurs mois de salaire selon l’ancienneté.
Cette mesure aura le double avantage d’une part de permettre des licenciements abusifs sans sanction ou presque, notamment pour les salariés ayant peu d’ancienneté, et d’autre part d’empêcher de fait ces salariés d’aller contester leur licenciement en justice, puisqu’ils ne pourront rien récupérer ou presque.
Le chef de l’État a prévu d’instaurer un plafond, mais également un plancher pour les indemnités en cas de licenciement abusif. Le plancher existant déjà dans la loi, on peut supposer que l’objectif sera plus orienté vers la fixation du plafond. Lorsqu’il était candidat, M. Macron promettait cependant que cette disposition ne s’appliquerait pas en cas de harcèlement ou de discrimination. Ce qui laisse environ 90% des licenciements dans le périmètre de la loi, dont les nombreux licenciements économiques dans des entreprises en bonne santé financière. Ce sont d’ailleurs ces licenciements qui sont au cœur du problème. En effet, payer des indemnités parce qu’on a licencié un salarié sans motif, ce n’est pas très grave. Mais payer des indemnités quand on en a licencié plusieurs dizaines, voire centaines dans certains grands groupes, pour un motif économique qui n’existe pas, cela fait vite des sommes importantes à verser à des salariés privés illégalement de leur emploi. On comprend facilement que le MEDEF se mobilise depuis des années pour faire cesser cet état de fait qu’il juge inacceptable.
Et tout cela vient après la loi « Travail » qui a déjà facilité les licenciements économiques, en créant des motifs de licenciement plus simples et plus faciles à justifier. Il faut croire que cela ne suffisait pas au MEDEF et à M. Macron.
La fusion des institutions représentatives du personnel
Dernière disposition importante à laquelle M. Macron s’est engagé dans le cadre de la réforme du Code du travail : la création d’une instance unique de représentation du personnel. Actuellement, il existe trois institutions distinctes :
- les délégués du personnel, à partir de onze salariés ;
- le comité d’entreprise, à partir de cinquante salariés ;
- le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), également à partir de cinquante salariés.
Le président de la République souhaite simplifier ces règles et créer une instance unique pour toutes les entreprises, afin, d’après lui, de « limiter les effets de seuil » (le fait qu’un patron renonce à embaucher, car cela l’obligerait à créer une de ces instances).
Si on décode ces propos, on peut s’étonner de cet argument. En effet, il y a peu de chances que cette Délégation Unique du Personnel (DUP) puisse être créée à partir de 11 salariés. La limitation de l’effet de seuil ne semble donc pas être le véritable objectif. Le seuil, quel qu’il soit, existera toujours.
La DUP existe depuis longtemps pour les entreprises de plus de 50 salariés, et elle est mise en place par une décision unilatérale de l’employeur. Elle ne nécessite donc pas d’accord des représentants des salariés ou des délégués syndicaux.
Avant la loi Rebsamen d’août 2015, elle ne pouvait exister que dans les entreprises de moins de 200 salariés, et elle ne comprenait pas le CHSCT. Cette loi a permis qu’elle soit instaurée par l’employeur dans les entreprises comptant jusqu’à 300 salariés, et elle intègre obligatoirement le CHSCT.
M. Macron veut en fait, permettre l’instauration de cette DUP dans toutes les entreprises, quel que soit leur effectif.
Les avantages pour l’employeur d’une DUP étant une diminution du nombre d’élus, du nombre d’heures de délégation disponibles pour les élus, et du nombre de réunions obligatoires avec les instances.
Cette généralisation de la DUP cache en réalité un autre objectif récurrent du MEDEF : la suppression du CHSCT.
Vers la disparition des CHSCT ?
Le premier projet de la loi Rebsamen prévoyait la disparition de cette instance qui est, parmi les 3 instances, celle qui peut, si elle est bien utilisée par les élus, le plus gêner un employeur, et le contraindre à prendre des mesures qu’il ne souhaitait pas mettre en œuvre.
Par exemple, un CE va donner son avis sur un projet, mais l’employeur peut ne pas en tenir compte.
Mais le pouvoir d’un CHSCT va au-delà, car il est chargé des questions de santé et de sécurité des travailleurs notamment. Et derrière, il y a pour l’employeur, l’obligation de sécurité de résultats, et le risque de se voir reprocher une faute inexcusable, avec des conséquences financières, civiles et pénales.
La suppression des CHSCT ayant soulevé un certain émoi chez les syndicats, ce projet a été abandonné, en échange de l’extension de la DUP jusqu’à 300 salariés.
Une DUP incluant les missions du CHSCT permet de mieux contrôler des élus qui doivent s’occuper de toutes les instances : les DP, le CE, et le CHSCT.
Depuis le regroupement des 3 instances, on a constaté que de nombreux élus ne faisaient plus la formation prévue pour les représentants du CHSCT.
En effet, ils doivent déjà se former sur les missions de DP et de CE, et pour des questions d’organisation, ils ont souvent du mal, quand ils sont élus, à faire en plus, une formation de 3 jours sur le CHSCT, pourtant obligatoire dans les textes. Sans compter les pressions des employeurs qui doivent financer entièrement cette formation pour tous les élus de la DUP, titulaires et suppléants. La formation spécifique CHSCT, très complète, prévue par la loi, est donc maintenant, de plus en plus, remplacée par une formation des bases uniquement, lors d’une formation CE financée par le budget de fonctionnement CE, et non plus par l’employeur.
Quel est l’intérêt de passer par des ordonnances ?
M. Macron a annoncé, durant sa campagne, qu’il procéderait par ordonnances pour mettre en œuvre ces mesures. L’objectif est d’aller vite. Les ordonnances permettent d’adopter un texte de loi sans passer par la procédure parlementaire habituelle (la « navette » entre les assemblées), qui peut prendre plusieurs mois. Les modifications du droit du travail pourraient ainsi entrer en vigueur dès la fin de l’année. Cela éviterait aussi le temps de la contestation dans la rue, comme cela a été le cas lors des discussions de la loi « Travail ».
Mais s’il s’agit d’une procédure plus rapide, elle ne signifie toutefois pas que le gouvernement pourra s’affranchir d’un vote du Parlement. Ce dernier devra nécessairement voter une « loi d’habilitation » pour autoriser l’exécutif à légiférer par ordonnances et devra ensuite ratifier le texte pour qu’il puisse entrer en vigueur de manière pérenne.
La volonté du nouveau Président semble donc aller vers une restriction des pouvoirs des représentants des salariés avec la généralisation de la DUP, une diminution de la liberté de décision des juges avec le plafonnement des indemnités réparatrices, une restriction des discussions parlementaires accompagnée d’une limitation des possibilités de réaction et de contestation des salariés dans la rue, avec l’utilisation des ordonnances, et en revanche une augmentation des possibilités de licenciement des employeurs, notamment pour des motifs économiques, avec la limitation des sanctions en cas de licenciement abusif.
Le tout en ne modifiant pas réellement les règles légales (les 35 heures, l’obligation d’un motif de licenciement par exemple), mais en modifiant profondément leurs conséquences concrètes pour les salariés.
L’avenir nous dira quelles seront les mesures qui seront finalement mises en place, et quels seront leurs impacts en termes de lutte contre le chômage, de lutte contre les inégalités sociales et de relance de l’économie française, ou quelles seront les mesures qui n’auront servi qu’une catégorie professionnelle particulièrement généreuse en matière de financement des partis politiques depuis des années.